Depuis 2012, l’Institut d’études avancées de l’Université de Strasbourg (USIAS, University of Strasbourg Institute of Advanced Study) permet aux chercheurs de sortir des sentiers battus de leur recherche habituelle, en leur offrant les conditions pour mener des projets originaux et de haute qualité. Rencontre avec Sylviane Muller, secrétaire de son collège et titulaire de la chaire d’immunologie thérapeutique, et Rifka Weehuizen, sa directrice administrative.
Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est l’USIAS ?
Sylviane Muller : L’institut a été créé pour ouvrir un espace à part aux chercheurs. Leur permettre d’explorer de nouvelles idées et approches, d’élargir leur horizon, voire d’appliquer leurs connaissances à de nouveaux domaines, de changer l’orientation de leurs recherches, pour une durée de quelques mois à deux ans.
Rifka Weehuizen : Il s’agissait d’un projet-phare de l’Idex, en 2012, qui a depuis été pérennisé. Le premier (et le plus célèbre) Institut d’études avancées a été celui de Princeton. L’USIAS a la même mission, mais le modèle est un peu différent : nous voulions que les fellows fassent vraiment partie de la communauté universitaire.
S. M. : Les carrières des chercheurs aujourd’hui sont fléchées, tributaires des financements proposés et des succès aux appels d’offres… Dans ce cheminement linéaire, l’USIAS leur offre l’opportunité de prendre le temps de la respiration, du « pas de côté » et du changement de thématique de recherche. Certains vont pouvoir se consacrer à un thème jusqu’alors annexe à leurs travaux, qui peut devenir un nouvel axe de recherche majeur. Pour nous, l’Université de Strasbourg, c’est une prise de risque. Mais elle est mesurée car les chercheurs accueillis sont déjà reconnus dans leur domaine et leur nouvel investissement personnel n’en est que plus original. Leur fellowship à l’USIAS joue pour certains comme un accélérateur de carrière. En outre, pour notre université, ce statut peut agir comme un tremplin de recrutements de haut niveau. C’est ce qu’il s’est passé pour Nalini Anantharaman (récente titulaire de la chaire USIAS de mathématiques). Dans tous les cas, les fellows et chaires USIAS catalysent le rayonnement de notre université.
Qui sont ces chercheurs et quels moyens leur offrez-vous ?
S. M. : Il s’agit d’abord de chercheurs Unistra, à hauteur d’environ 60 %. Les 40 % restants sont originaires d’autres universités, généralement de l’étranger. Ce regard extérieur, ce « décentrement » est très important, car il contribue à irriguer la recherche strasbourgeoise. Il nous a aussi paru essentiel dès le début d’accueillir des talents dans toutes les disciplines, afin de dépasser les frontières thématiques. C’est l’un de nos mots d’ordre parmi les plus importants, pour favoriser l’ouverture et le dialogue.
R.W. : C’est aussi dans l’esprit des instituts d’études avancées de travailler en réseau. La recherche dans le bassin rhénan peut se prévaloir d’une collaboration étroite et de longue date entre l’USIAS et son homologue de Fribourg, FRIAS.
Comment fonctionne l’USIAS ?
S. M. : Douze professeurs à l’USIAS, titulaires de chaires permanentes, formant le collège, sont occupées par autant de « figures » de l’Université de Strasbourg, dont nos trois prix Nobel en activité. Cela m’impressionne toujours de les voir siéger côte à côte avec nous. Nous sélectionnons chaque année une quinzaine de fellows. Au terme d’un processus qui s’achève par six mois d’expertise scientifique internationale, environ 20 % des candidatures sont retenues.
Les fellowships USIAS permettent à leur titulaire de financer leur recherche, sous la forme qui leur convient. Il peut par exemple s’agir de financer un poste de remplacement pour assurer leur enseignement dans leur université d’origine. C’est fondamental pour qu’ils se déplacent à Strasbourg, afin de se consacrer à leur recherche !
Sont aussi financés de plus courts séjours, de moins de trois mois, ainsi que des conférences de personnalités éminentes à destination du grand public universitaire. Je garde ainsi comme un souvenir fort l’intervention du paléontologue Yves Coppens sur « la naissance de l’homme », en 2015.
Parce qu’il ne bénéficie pas de locaux dédiés, l’USIAS n’est pas forcément bien identifié…
R.W. : C’est un choix fait au moment de sa création : privilégier le financement de la recherche plutôt que d’un bâtiment. Nous bénéficions de bureaux à la Maison interuniversitaire des sciences de l'Homme-Alsace (Misha), où peuvent venir les chercheurs. Mais il nous a semblé important qu’ils soient accueillis dans leurs laboratoires de spécialité, pour ne pas être « hors-sol ». C’est toute la richesse du programme !
Quelles perspectives pour l’avenir ?
S.M. : Un point que j’aimerais améliorer : la représentation des femmes ! Depuis le début, nous observons qu’elles sont toujours minoritaires parmi les fellows retenus. Avouons-le, un ratio proportionnel au nombre de dossiers déposés. Il faut donc continuer à porter le message qu’elles ont autant de place et de légitimité que les hommes à figurer à des postes et des places prestigieuses. Je ne me lasse pas de le dire dans les écoles d’ingénieurs et les grandes écoles, pour faire tomber des barrières qui sont avant tout culturelles. Nous sommes deux femmes au sein du collège : c’est peu, mais nous nous devons d’être des modèles. L’expérience le prouve, plus la diversité des profils est grande, plus on s’enrichit les uns les autres.
Propos recueillis par Elsa Collobert